Principes de sagesse
On appelle encore principe, l'être dont la volonté réfléchie meut ce qui se meut et fait changer ce qui change. Aristote |
Nous avons indiqué, dans l'Etique, quelle différence il y a entre l'art, la science et les autres disciplines du même genre
(Aristote, La Métaphysique, trad. J. Tricot, 981 b 25-982 a 20)
La philosophie, la science et l'art veulent que nous déchirions le firmament et que nous plongions dans le chaos
(Deleuze, 1991, p. 190)
Depuis des générations, les philosophes interrogent le problème de la sagesse. Ils cherchent à rendre l'homme sage. A l'écoute de notre monde, il semble que ce problème est résolu. Toutes ces interrogations, tous ces livres, tous ces beaux discours ont tourné la sagesse dans tous les sens pour parvenir à l'enseigner.
celui qui connaît les causes avec plus d'exactitudes, et celui qui est plus capable de les enseigner sont, dans toute espèce de science, plus sages.
(Aristote, Op. Cit.)
L'entreprise scolaire n'a-t-elle pas obéi jusqu'à ce jour à une préoccupation dominante : améliorer les techniques de dressage afin que l'animal soit rentable ?
(Vaneigem, 1995, p. 8)
trouver une façon d'écrire qui, tout en partant d'idées, ne soit pas un discours sur elles; ou ne soit pas sur des idées mais les produise.
(Cage, 1990, p. 2)
Amour de la sagesse, "être-avec" de la sagesse.
Sans idée de possession, la fidélité du mariage religieux consomme dans l'esprit sain de l'amour incarné, le vieux d'un devenir libéré.
L'homme est sage, l'homme est libre
homme-sage, homme-libre
La structure du langage introduit l'être comme interstice métaphysique. L'incarnation du verbe, comme premier moteur, trace pour l'éternité la loi du lecteur sage. Au bas de la montagne l'image domine la liberté humaine.
Les enfants qui secourent avec amour leurs parents dans leurs misères et leurs infirmités méritent toujours beaucoup de louanges et d'affection, même s'ils ne peuvent être cités comme des modèles d'obéissance et de bonne conduite. A l'avenir, sois raisonnable, et tu seras heureux.
(Collodi, 1882, p. 234)
Pour Aristote, la manière proprement philosophique consiste à considérer chaque être en tant qu'il est, de chercher de quelle manière il est.
C'est pourquoi la philosophie, en son noyau le plus ancien, expose deux exigences qui ne sont pas nécessairement compatibles :
- savoir (selon les principes et les causes)
- et tout savoir, c'est-à-dire tout considérer, c'est-à-dire tout ce qui est (Charles-Saget, E1 364, p. 12)
L'homme apprend ce qu'il sait déjà, mais ne peut pas être ce qu'il n'est pas. Ce qui Est est sage car la sagesse Est. La réflexion qu'est-ce qu'Etre est au centre de l'interrogation sur la sagesse. La recherche de la sagesse n'a d'intérêt que dans l'être. La pratique de la sagesse est l'être dans l'instant. Reconnaître l'Etre c'est voir la sagesse. Ne pas être : question sans réponse. Etre : question métaphysique.
A la nécessité de l'universel, s'ajoute le souci de "toute chose". Mais Aristote affirme que ce souci ou cette conception populaire (le sage sait tout) sont satisfait par la recherche de l'universel qui contient d'une certaine manière tous les cas particuliers.
Remarque : tout ce qui est singulier relève-t-il d'un universel ? Comment penser le hasard ou la contingence ?
(Charles-Saget, E1 364, p. 20-21)
l'analyse d'un paradoxe permet de montrer qu'on ne peut décider si certaines assertions sont vraies ou fausses, parce que la tâche d'arriver à une décision est impossiblement longue (théorème d'incomplétude de Gödel). En bref, ce qui explique notre libre arbitre, et ce qui en fait une notion utile, c'est la complexité de l'univers ou, plus précisément, notre propre complexité.
(Ruelle, 1993, p. 44)
La sagesse est en chacun de nous. Elle est parfois bien cachée, enfouie dans un cœur dur comme de la pierre. Pour aller la chercher il faut se battre avec soi-même, accepter de ne pas la trouver, d'avoir cherché pour entretenir une image, un leurre. Laisser parler son cœur plus que son esprit. Simple et sans prétention, le rythme vient, va, s'en va, revient comme une chanson populaire. Le ventre immobile calme l'esprit révolté, l'ancre dans un pouf d'images soporifiques. Le sage nourrit sa liberté par le dynamisme de sa panse.
Aujourd'hui que toutes les voies (à ce que l'on croit) ont été tentées en vain, il règne dans les sciences le dégoût et un parfait indifférentisme : [doctrine] mère du chaos et de la nuit, mais laquelle est aussi le principe, ou du moins le prélude d'une transformation prochaine et d'une rénovation de ces sciences
(Kant, 1781, iv, 8)
le Romantisme a tendu, d'emblée à faire de sa poétique une métaphysique en suggérant, comme propre au poète, un mode particulier de connaissance, et non pas seulement de conception, d'invention ou d'expression ; le poète avait la faculté d'atteindre, par d'autres voies que celle de la Révélation, des vérités inaccessibles à l'expérience commune et à la raison, sur lesquelles la science moderne établit son autorité.
(Bénichou, 1992, p. 589)
la question de la preuve fait problème, en ce qu'il faudrait prouver la preuve.
(Lyotard, 1979, p. 72)
La responsabilité de l'action est dans la réaction.
Dans le cas d'un jeu métaphysique, notre intellect s'amuse à remplir le vide des questions sans réponse par des structures. La structure métaphysique se transmet par l'écriture, par une forme fixe. Forme qui correspond à un type de contexte. Peut-on transmettre une trace qui soit dynamique autrement que par les différentes interprétations qu'on en fait ?
il est malaisé, en ne travaillant que sur les ouvrages d'autrui, de faire des choses fort accomplies.
(Descartes, 1951, p. 40)
497. Si un interlocuteur, voulant sans arrêt susciter le doute en moi, me disait : là ta mémoire te trompe, ici tu as été dupé, là encore tu n'es pas allé assez profond pour acquérir ta conviction, etc., et si, ne me laissant pas ébranler, je m'en tenais à ma certitude, _ ce comportement ne peut pas être faux, quand ce ne serait que parce que c'est justement ce qui définit un jeu
(Wittgenstein, 1958, p.119)
Aristote tente d'être l'architecte de la sagesse. Il place les pierres les unes après les autres, commande les ouvriers, les esclaves. Il tente de bâtir un édifice qui tienne debout selon les lois qu'ils énoncent. Ce n'est pas parce qu'une maison est bien bâtie qu'elle ne peut être un repère de bandits.
l'homme d'art supérieur à l'homme d'expérience, l'architecte au manœuvre, et les sciences théorétiques aux sciences pratiques.
(Aristote, Op. Cit.)
Ce serait les Grecs qui auraient entériné la mort du Sage, et l'auraient remplacé par les philosophes, les amis de la sagesse, ceux qui cherchent la sagesse, mais ne la possèdent pas formellement ( Deleuze, 1991, p. 8)
Le sage est sage parce que le fou est fou. L'un n'est pas supérieur à l'autre. Pourquoi le sage serait-il plus apte à diriger le fou ? Peut-être parce qu'on écoute le sage alors qu'on rit du fou. Pourtant le fou avec ses grelots, ses cabrioles et ses grimaces et le seul à montrer avec justesse les travers du Roi. Il est libre de dire la vérité. Le sage quant à lui se tait où fronce les sourcils. Rien à voir avec la philosophie. Simplement adroit pour les idioties. Où est la sagesse dans tous ça ?
Les mots n'ont aucun sens.
Comprenez-vous ?
pour comprendre comment l'esprit humain met de l'ordre dans le chaos de la perception, il fallait certainement comprendre comment le désordre pouvait engendrer l'universalité.
(Gleick, 1991, p. 212)
l'homme d'art
Hegel montrait ainsi que le concept n'a rien à voir avec une idée générale ou abstraite, pas plus qu'avec une Sagesse incréée qui ne dépendrait pas de la philosophie même. Mais c'était au prix d'une extension indéterminée de la philosophie qui ne laissait guère subsister le mouvement indépendant des sciences et des arts, parce qu'elle reconstituait des universaux avec ses propres moments, et ne traitait plus qu'en figurants fantômes les personnages de sa propre création. ( Deleuze, 1991, p. 16)
prétend que est une science pour pouvoir l'étudier avec les outils de la science : la raison, la logique. Ce partie pris limite le champ de la sagesse, le fixe par une structure qu'Aristote tente de définir, de décrire, de comprendre avec les outils qu'il c'est lui-même donner pour construire cette structure qui se compose du principe, de la cause, de toute une architectonique. Le philosophe La sagesse est la réaction adéquate dans l'instant : la bonne parole, le bon geste, l'action juste.
Aristote est un constructeur. Ils veut bâtir une science. Il dispose :
d'un matériau : la cause ("cause" Op. Cit., p. 247) de règle de construction : Le principe
La métaphysique est un jeu, dont les règles sont fixées par le philosophe. Le but de ce jeu est de trouver des réponses là où il n'y en a pas. Depuis les grecs, les philosophes ont inventés des milliers de règles s'en parvenir a trouver une réponse, sans accepter qu'il puisse y avoir des questions sans réponses. Le jeu continue, puisqu'il y a toujours des joueurs. Certains ont la volonté d'imposer leurs règles et les conclusions qui en découlent. Il me semble clair que ces "réponses" ne sont valables que dans le système de règles qui ont permis de les trouver. Les philosophes ont chercher des règles qui puissent englober toutes les autres afin que leurs réponses est une valeur universelle.
Aristote nous dit que le sage doit donner des lois, qu'on doit lui obéir. Cette place qu'il lui accorde vient du fait que le sage :
a "toutes"
est "capable"
Aristote fait du sage un homme différent. Il le place a un niveau supérieur aux autres. Mais d'où l'homme tire-t-il cette sagesse si ce n'est des autres hommes ?
L'espace est dans notre jardin. Le cultiver c'est prendre garde au sommeil de l'esprit.
Sagement assis à mon bureau, je m'interroge sur ce que peut bien être la sagesse. Devant moi un cours de philosophie me présente les pensées d'hommes que je n'ai jamais rencontrés. Peuvent-ils m'enseigner ce qu'est la sagesse, à être sage ?
Aristote à l'air très sure de lui et semble bien connaître le problème. A la lecture de ses écrits le problème me semblent assez simple.
"science"
Plus loin il écrit que le sage :
a "toutes"
est "capable"
Aristote décrit admirablement bien la structure du problème. Pourtant une chose me gène. Il place ce qui domine comme plus sage que le subordonnée. Celui qui parle ne peut le faire que si on l'écoute ? A moins qu'il ne soit fou est parle dans le vide.
Il faut quitter ce cocon qui entrave toute parole du cœur. Je suis face à un mur. Je me frappe la tête dessus, pensant pouvoir le détruire à force d'obstination.
La sagesse n'est pas dans la réflexion. Elle est dans l'action, dans l'être. A l'intérieur de toute chose sa lueur est extérieur. Eblouis, je ne peux la fixer sans la décomposer en petites flammèches, sans me brûler l'âme pour préserver mon cœur.
Je ne veux pas être sage. Je ne veux pas me calmer. Je veux dire ce que je sais : l'eau coule dans un murmure de tambour. L'intérieur de l'être est recouvert de gravats. Je le sais mais ne le sens pas. La merde a une odeur. A gauche elle porte bonheur.
Dans le blanc du papier, dans le silence, dans l'abstinence. Noir des mots sans démonstration, les démons vous accueillent pour une valse en nuisette.
Aristote est mort, sa pensée me harcèle. Juste pour rire.
Je refuse le travail de l'esprit préférant le rêve de l'écriture. J'ai peur de ne pas être compris, d'écrire autre chose que de la philosophie. Qu'importe la sagesse rigide et structurée, vive le chaos des vanités où je me cache pour me réfugier. C'est un bouclier fait de vide, transparent comme la fuite, maladroit comme un baisé.
Ne pas mettre la charrue avant les bœufs. La sagesse populaire veille au plus profond de nous pour nous guider sans nous démolir.
bibliographie
Aristote, La Métaphysique, trad. J. Tricot, 981 b 25-982 a 20
Benichou, Paul, L'école du désenchantement, Paris.
Cage, John, I-VI, Cambridge, 1990.
Charles-Saget, Annick, La question du principe, de l'arche, chez Aristote et Augustin, cours de Teledix, E1. 364, Nanterre, 1995.
Collodi, Carlo, Pinocchio, Paris, 1985.
Deleuze, Gilles, Qu'est-ce que la philosophie, Paris, 1991.
Descartes, Renée, Discours de la méthode, Paris, 1951.
Kant, Emmanuelle, Critique de la raison pure, 1781.
Lyotard, Jean-François, La condition postmoderne, Paris, 1979.
Ruelle, David, Hasard et Chaos, Paris, 1993.
Vaneigem, Raoul, Avertissement aux écoliers et lycéens, 1995.
Wittgenstein, Ludwig, De la Certitude, Paris, 1976.