1L’année 2016 et la campagne américaine ont marqué l’explosion de l’utilisation de l’expression « fake news » au sein de l’espace public. Popularisée par Donald Trump pour pointer du doigt des médias véhiculant des informations désagréables à son encontre, la notion existait déjà depuis quelques années, en réalité, et désignait le déferlement de faux articles, d’informations erronées diffusées en ligne et reprises sur les réseaux sociaux. Craig Silverman, éditorialiste média chez BuzzFeed, aurait été l’un des premiers à utiliser l’expression sur Twitter en octobre 2014 [1][1]On trouvera un récit de l’épisode avec le tweet de Craig… alors qu’un site de fausses informations annonçait la mise en quarantaine de la ville de Purdon, au Texas, après qu’une famille eut contracté le virus Ebola. L’expression a depuis rencontré une popularité croissante, parfois non sans excès. Notion floue et mal définie, elle a le grand avantage d’être aisément mobilisable dans le champ du débat public.
2À l’instar de Donald Trump, nombre d’inter -venants désignent aujourd’hui par « fake news » une information qu’ils perçoivent eux-mêmes comme erronée. Désormais, politiques, journalistes et citoyens se renvoient successivement la balle, s’accusant régulièrement les uns les autres d’être à la source d’informations fausses venant dévoyer la qualité du débat public. Loin d’être circonscrit au seul territoire américain, le phénomène s’est diffusé et fait l’objet d’une attention particulière en Europe où la « montée des populismes » inquiète les responsables politiques européens. La France ne fait pas exception : les rumeurs plus ou moins fantaisistes ont émaillé la dernière présidentielle. De la proximité d’Alain Juppé avec la mouvance salafiste donnant naissance au sobriquet d’Ali Juppé au prétendu compte caché d’Emmanuel Macron aux Bahamas, de nombreuses fausses informations ont été abondamment relayées pendant la campagne [2][2]Pour un rapide aperçu de ces rumeurs infondées, il est possible…. Elles ont motivé l’initiation d’un projet de loi sur la manipulation de l’information en période électorale, finalement adopté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 20 novembre dernier. Cette volonté du pouvoir politique de s’emparer du sujet laisse à penser que les fausses informations représentent un problème sérieux pour le fonctionnement de la démocratie à l’heure où la technologie autorise la diffusion massive d’informations en ligne, sans contrôle préalable de leur véracité. Si l’ouverture inédite de l’espace public à laquelle nous assistons provoque des excès à ne pas négliger, l’enjeu de ces fausses informations est peut-être ailleurs.
3L’information semble aujourd’hui au cœur d’affrontements politiques où chacun entend tirer parti des armes d’expressions mises à sa disposition. La présence dans le paysage de tout un champ lexical sur l’information permet de l’envisager. « Fake news », évidemment, mais n’oublions pas « factchecking », les faits alternatifs et la post-vérité qui sont sans doute les autres visages d’un problème commun : celui de la difficulté d’informer, alors que l’espace public se structure de plus en plus sous la forme de groupes de convictions aux revendications difficilement conciliables. Ce propos sera l’occasion d’argumenter sur ce que les fake news révèlent de l’état de nos opinions publiques ainsi que sur la manière dont nous pourrions envisager collectivement de répondre au problème qui nous est posé.
Comment se fabriquent des fake news
4La déstabilisation profonde de l’information par la technologie sert de trame de fond au jaillissement du phénomène des fake news au sein du débat public. Internet, les réseaux sociaux et l’accélération sans précédent des capacités de partage qui va avec représentent une nouvelle étape dans la configuration de l’information. En quelques années s’est produit devant nous un bouleversement touchant à la fois à la fabrication, à la transmission ainsi qu’à l’adhésion à l’information.
5Tendance lourde, l’information se fabrique aujourd’hui avant tout pour capter l’attention. L’accélération sans précédent de la vitesse de circulation de l’information, la multiplication des émetteurs et la variété des sources autorisées par le digital ont mis les producteurs de l’information face à la difficulté croissante de susciter notre intérêt. La diversité et l’augmentation des flux ont mis le producteur d’informations face à deux impératifs aux injonctions souvent contradictoires que sont la vérification des faits et la nécessité d’engager le public. Dans cet univers, pour remporter la mise, rapidité et goût pour le sensationnel font loi. Cette configuration nouvelle est un des véhicules du succès des fake news. Le souci de véracité des faits n’est plus systématiquement la préoccupation première des colporteurs digitaux de nouvelles sensationnelles, mus par des intérêts qui leur sont propres. Prédomine le souci d’emporter l’adhésion et, à en croire les chiffres, la démarche semble faire recette. Ainsi, une étude récente du magazine Science a mis en avant que les fake news ont 70 % de chances d’être plus retweetées que les faits avérés [3][3]Soroush Vosoughi, Deb Roy, Sinan Aral, « The Spread of True and…. L’inria et des chercheurs de l’université de Columbia ont aussi récemment mis en avant une statistique troublante : 59 % des liens partagés sur les réseaux sociaux n’ont en réalité jamais été consultés [4][4]Maksym Gabielkov, Arthi Ramachandran, Augustin Chaintreau,…. En d’autres termes, seul le titre a été lu !
6Impossible de détacher cette tendance de fond d’une fonctionnalité clé qui nous est offerte par les réseaux sociaux : celle du partage. Si les médias demeurent évidemment un véhicule d’orientation majeure de l’opinion publique, l’individu est aujourd’hui un vecteur central de transmission de l’information. Il est devenu lui-même un média, non pas au sens strict de producteur d’informations, mais plutôt de support de diffusion massive de celle-ci. S’il peut épisodiquement être producteur, l’individu se positionne surtout en tant que prescripteur et curateur de contenus. En dialogue constant avec ses pairs, il interroge en permanence l’information qu’on lui transmet. Avec Google, l’individu est l’acteur à l’origine de la recherche. Depuis son mur Facebook ou son fil Twitter, il est libre de partager, commenter, aimer un article, un son, une vidéo, une image. Prime à l’originalité en la matière, l’individu se doit, lui aussi, d’intéresser son public. Conjugué à l’utilisation très répandue des réseaux sociaux au sein de la population – Facebook compte trente-trois millions d’utilisateurs actifs en France et près de vingt-six millions de Français consultent des vidéos chaque mois sur Youtube [5][5]Voir le site bdm (blog des modérateurs) / media, « Chiffres… –, cette capacité nouvelle de partage offre une occasion inédite d’accès direct aux citoyens sans passer par le truchement des médias. Les acteurs traditionnels s’en sont vite saisis. Acteurs économiques et partis politiques ont investi le champ des réseaux sociaux. Difficile, aujourd’hui, de trouver une personnalité politique influente qui ne soit pas équipée en compte Twitter, page Facebook ou chaîne Youtube. En France, Jean-Luc Mélenchon a été celui des politiques qui a été le mieux à même de s’adresser directement aux citoyens à travers sa chaîne Youtube : en adoptant un langage direct synonyme de parler vrai, le leader de la France insoumise est parvenu à réunir autour de lui près de 390 000 abonnés [6][6]Chiffres, septembre 2018.. Mais ceux-ci ne sont pas les seuls : tout un écosystème de sites d’informations alternatifs gravitant autour de l’extrême-droite et de la gauche radicale s’est emparé des possibilités offertes par les réseaux sociaux pour faire naître un underground de l’information. Leurs modes d’expression décoiffent les tenants du politiquement correct et chaque sujet polémique devient l’objet de rumeurs ou d’interprétations en confrontation directe avec les messages véhiculés par les canaux institutionnels. L’enseignement de la théorie du genre au sein des manuels scolaires est ainsi devenu depuis quelques années un marronnier d’un site comme « Égalité et réconciliation », alimentant les fantasmes des catholiques conservateurs sur le sujet.
7C’est ainsi que la technologie a fait émerger dans l’espace public une scène nouvelle composée de groupes de convictions, déterminés à affirmer leurs prises de position. Pour ces groupes, l’information est avant tout source de confirmation et de relais de leur perception de la réalité. Bien plus que la vérification, ce qui compte désormais est l’adhésion à l’information. Cet état de fait explique le peu d’impact qu’exerce aujourd’hui le factchecking sur ces groupes. La vérification des faits par les journalistes n’aura pas suffi à enrayer le problème des fausses informations. À ce titre, la récente étude menée pour le compte de l’European Research Council sur l’élection présidentielle américaine de 2016 est éclairante : « Le factchecking n’atteint presque jamais les consommateurs de fausses informations [7][7]European Research Council, « Selective Exposure to…. » On a régulièrement pointé du doigt l’influence des algorithmes de recommandation et la possibilité qui en découle de cibler des groupes en ligne en vue de leur proposer du contenu personnalisé. Certains en sont devenus des experts profitant de la rémunération publicitaire autour du contenu permis par des plateformes comme Facebook pour empocher des sommes conséquentes. Si cette possibilité technique confine évidemment à l’isolement, elle ne peut être désignée comme le cœur du problème. Si une information, fausse ou non, rencontre une certaine notoriété, c’est bien parce qu’une demande existe. Sans doute est-ce l’enseignement principal à tirer de l’influence supposée de Cambridge Analytica sur les résultats de la dernière présidentielle américaine. En réalité, plutôt que de provoquer un bouleversement sur l’issue de cette élection, cette société de communication au slogan tapageur, « Data Drives All We Do », aura eu pour rôle d’accentuer les mécanismes d’autopersuasion de partisans de Donald Trump en quête d’éléments susceptibles d’asseoir leurs propres convictions.
Les fake news comme carburant de la culture de l’hostilité
8Au-delà des modifications impressionnantes apportées par la technologie sur le mode d’organisation du débat public, la technologie n’explique pas tout. Si certains éléments sont de l’ordre technique, nous ne devons pas être aveuglés : les racines du problème relèvent bien de l’ordre social. Elles viennent se loger dans l’affirmation d’identités opposées et devenues aujourd’hui presque irréconciliables. Le changement technologique qu’illustrent les forums, réseaux sociaux ou sites de pétition en ligne sert en réalité de caisse de résonance à la perte de référents communs en mesure de structurer une identité partagée. La technologie rend publics des désaccords profonds et les fake news servent de carburant à une culture de l’hostilité désormais bien installée.
9Problème supplémentaire, le type de sociabilité issu des réseaux sociaux est venu à l’appui de cette tendance puisqu’il pousse à l’isolement. Dans son article « Le monde selon Facebook [8][8]Jérôme Batout, « Le monde selon Facebook », Le Débat, n° 163,… », Jérôme Batout notait d’ailleurs que sur Facebook « tout est fait non pour circonscrire le conflit mais carrément pour le supprimer. […] Si jamais quelque chose vous ennuie ou vous gêne avec l’un de vos amis, inutile d’entrer dans un débat avec lui […]. Vous pouvez décider unilatéralement de “supprimer” l’ami. Toute manifestation conflictuelle y est méthodiquement stérilisée, neutralisée ». À l’opposé, sur Twitter, réseau social favorisant les prises de position publiques, faire débat est souvent synonyme de raillerie, d’invectives grossières et prend parfois des airs de chasse à l’homme. Le terme de « haine » est d’ailleurs souvent employé lorsqu’il s’agit de qualifier le réseau social de « microblogage ». Une forme de complémentarité existe entre Facebook et Twitter. Au travers de leur logique respective d’évitement et d’affrontement, ils sont le reflet d’un même phénomène, celui du refus de l’adversaire, de la négation de l’autre suscitant une impossibilité de la discussion.
10Dans ce contexte, l’information est devenue une arme de combat politique. Les parties prenantes luttent à coups de nouvelles plus ou moins avérées, de concepts distordus et ont cessé de s’écouter. C’est un paradoxe, et non des moindres, d’une société de la communication censée aménager des espaces de dialogue et qui a désormais fait de la défiance le socle commun de toutes nos discussions publiques. Chaque grand débat est l’occasion de la mise en scène de l’opposition de groupes d’opinions politiques campant fermement sur leurs positions respectives. D’un côté, des groupes de convictions plus ou moins structurés autour de mouvements politiques contestataires apparaissent comme les plus vindicatifs pour entrer en opposition systématique avec toutes informations diffusées par des canaux institutionnels, qu’ils soient médiatiques ou étatiques. En France, c’est le cas, par exemple, de ce que les médias qualifient régulièrement de « fachosphère », appellation péjorative que ses membres rejettent, préférant se qualifier de « patriosphère » ou de « réinfosphère ». Cette nébuleuse de sites, de comptes Twitter ou Facebook aux tendances diverses a pour ressort commun la contestation de la lecture de l’actualité des médias et une proximité idéologique avec les thèses de l’extrême-droite. À l’opposé, les partis de gouvernement et médias traditionnels se positionnent du côté de la raison, de la vérité, dénonçant des tentatives de manipulation ou une absence d’éducation face à l’information. Référendum sur le Brexit, élections présidentielles en France, vote sur l’autodétermination de la Catalogne sont autant d’événements politiques ayant fait la part belle aux articles de presse sur les rumeurs et fausses informations répandues en ligne et susceptibles d’influencer des électeurs éprouvant des difficultés à distinguer le vrai du faux. En mars 2017, la vidéo d’un homme présenté comme un migrant agressant une infirmière dans un hôpital français a ainsi été visionnée plus de treize millions de fois, dépassant de loin la sphère des groupes d’extrêmedroite. Peu de temps après, on apprit que la vidéo avait été détournée et que la scène se déroulait en réalité en Russie [9][9]L’épisode est relaté par France Info : « Non, cet homme n’est….
11Cette culture de l’hostilité s’est installée alors que la démocratie, régime du dialogue par définition, s’est affirmée comme cadre a priori indépassable et partagé par l’immense majorité d’entre nous. En corollaire, aucune idéologie cohérente ne vient aujourd’hui concurrencer sérieusement le néo-libéralisme. Autrement dit, alors que nous devrions tendre vers davantage de concorde puisque nous nous inscrivons quasi-unanimement dans l’univers démocratique, tout se passe comme si nombre d’entre nous étaient irréconciliables. Cette situation étonne, alors qu’ont disparu a priori les confrontations idéologiques les plus importantes du siècle passé. Que reste-t-il de l’appropriation collective des moyens de production, de l’économie planifiée ou de formes de régimes dictatoriaux pourtant solidement installés dans les esprits au xxe siècle en Europe occidentale ? Curieusement, certaines divisions idéologiques du passé reposaient parfois sur des ressorts communs et un sentiment de compréhension mutuel habitait leurs partisans. Le moment gaullo-communiste, dont Pierre Nora fait état, de l’après-Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1970 en constitue une illustration [10][10]Pierre Nora, Recherches de la France, Gallimard, 2013.. Quel lien entre l’incarnation de la nation française dans la personne du général de Gaulle et une idéologie collectiviste aux visées internationalistes reposant sur un peuple élu – le prolétariat ? A priori aucun et, pourtant, ces deux pôles d’aversion se sont construits en complémentarité et partageaient dans le cadre français bien plus qu’il n’y paraît à première vue. Si les idéologies s’opposaient en bien des points, elles avaient en commun une finalité, une orientation collective, un destin commun vers le progrès, même si les moyens différaient. La configuration d’aujourd’hui est tout autre puisque si aucune idéologie alternative forte n’existe, le sentiment d’un destin commun tend, lui aussi, à s’affaiblir considérablement.
Un piège tendu aux amis de la démocratie
12Le phénomène des fake news est utile, mais uniquement en ce qu’il est un symptôme servant de révélateur des oppositions qui traversent notre société. Tenter de traiter ce problème appelle à se pencher sur la nature de nos désaccords profonds ainsi que sur notre manière de débattre collectivement. Pris autrement, il est un piège tendu aux amis de la démocratie qu’il convient de décrypter pour éviter qu’une nouvelle fois les tenants de l’hostilité sortent gagnants.
13Le premier piège est de croire que le simple fait de légiférer sur les fake news changera la donne. Si l’on ne peut que se réjouir que des plateformes comme Facebook soient soumises à des obligations de transparence accrue sur les contenus qu’elles diffusent, cela ne suffira pas à répondre aux profonds désaccords qui traversent nos sociétés. Il existe dans l’expression des ressentiments une forme de vérité. Le scepticisme croissant d’une part importante de la population vis-à-vis du cadre néolibéral s’épanouissant avec la mondialisation sert de réceptacle à l’expression de ressentiments sans que pour autant parvienne à se dessiner un projet politique alternatif crédible. Bien plus que de « démontrer le faux », l’enjeu crucial est de « prendre en charge ce qui cherche à s’exprimer au travers de son mentir-vrai » [11][11]Marcel Gauchet, « La guerre des vérités », Le Débat, n° 197,…. Il convient donc de le prendre en compte et de ne pas circonscrire le phénomène des fake news à des tentatives de déstabilisation de la démocratie par des ennemis de l’étranger ou par des anonymes mal intentionnés. Cela a pourtant été un temps la position de nombreux représentants politiques légitimement soucieux de la tournure prise par nos discussions publiques. Une telle posture présente une série de risques. Le premier est de donner du crédit à la logique complotiste puisqu’elle suppose que le cœur du problème réside dans la manipulation des citoyens par des forces mal intentionnées. Le deuxième est de raviver le sentiment de l’existence de divisions, sans volonté politique de les prendre en considération dans les orientations collectives qui sont choisies. De telles failles n’ont d’ailleurs pas manqué d’être exploitées par les forces politiques qui s’érigent elles-mêmes en représentants du peuple : en France, le débat parlementaire de juillet dernier s’est tout de suite organisé sur un mode caricatural autour de l’atteinte supposée du projet de loi à la liberté d’expression. Enfin, autre dimension, et non des moindres, une telle loi semble difficilement applicable sur un volet pratique. Au regard de la masse d’informations et de commentaires diffusés en ligne, établir efficacement ce qui relève ou non de la fausse information est une véritable gageure. Une autre difficulté réside dans le pouvoir de sanction d’une loi nationale sur des informations qui seraient diffusées sur les réseaux sociaux depuis l’étranger. Enfin, l’intervention d’un juge pour demander le retrait d’un contenu en ligne, même si elle peut être souhaitable, devrait être peu efficace, tant la vitesse de circulation de l’information en ligne permet à un contenu d’être consulté en peu de temps à grande échelle.
14On décèle bien le second danger qui nous guette, celui de se laisser enfermer dans cette culture de la confrontation systématique et de laisser perpétuer indéfiniment l’affrontement entre bien et mal pensant. Mais le problème est, en réalité, que personne n’influence l’autre. Cette mise en scène permet à des acteurs complices de se donner la réplique. Situation stérile, mais confortable, puisque chacun peut ainsi continuer de jouer le même rôle prévisible et conforte ainsi son audience au sein de l’espace public. Elle peut même être un avantage temporaire pour certains. Pour des médias en difficulté, la glose déployée sur les fake news arrive à point nommé. Elle leur profite finalement, leur ouvrant des facilités commerciales et une nouvelle manière de défendre la nécessité d’un journalisme indépendant et sérieux fondé sur la restitution scrupuleuse des faits. La presse part en croisade : le Washington Post change de slogan – « Democracy dies in darkness » – et s’arroge implicitement le rôle de défenseur de la démocratie et de héraut de la vérité. Quant au New York Times, explicitement nommé par Donald Trump comme producteur de fake news, il a enregistré dans l’année qui a suivi l’élection du Président américain une augmentation de ses abonnés en ligne de 51 % tandis que son cours de bourse faisait plus que doubler sur la même période [12][12]Ces chiffres sont observables dans l’article du journal…. Ce jeu de dupes alimente l’hystérisation de la vie publique qui s’opère sur fond de polémiques constantes. Des chaînes d’information continue aux réseaux sociaux, tout laisse à penser que nous sommes drogués au clash. Celui-ci rend bien souvent l’atmosphère irrespirable et alimente un désintérêt croissant de la population pour la vie publique, le phénomène qui devrait nous alerter le plus. Car la mise en scène systématique de cette geste laisse en réalité orphelins des citoyens qui attendent légitimement de la démocratie qu’elle redevienne un espace de délibération collective. Le discrédit croissant, tant de l’univers politique que des principaux médias, est peut-être, paradoxalement, le signe de cette attente.
Notes
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[1]
On trouvera un récit de l’épisode avec le tweet de Craig Silverman sur le site BuzzFeed : « I Helped Popularize the Term “Fake News” and Now I Cringe Every Time I Hear It », 31 décembre 2017 (consultable en ligne).
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[2]
Pour un rapide aperçu de ces rumeurs infondées, il est possible de se référer à l’article de bfmtv : « Les “fake news” qui ont émaillé la campagne présidentielle », 7 juillet 2018 (consultable en ligne).
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[3]
Soroush Vosoughi, Deb Roy, Sinan Aral, « The Spread of True and False News Online », Science, vol. 359, n° 6380, 9 mars 2018, pp. 1141-1151.
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[4]
Maksym Gabielkov, Arthi Ramachandran, Augustin Chaintreau, Arnaud Legout, « Social Clicks : What and Who Gets Read on Twitter ? », Antibes et Juan-les-Pins, acm sigmetrics / ifip Performance, 2016, juin 2016.
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[5]
Voir le site bdm (blog des modérateurs) / media, « Chiffres réseaux sociaux – 2018 », par Thomas Coëffé, 11 juillet 2018 (consultable en ligne).
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[6]
Chiffres, septembre 2018.
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[7]
European Research Council, « Selective Exposure to Misinformation : Evidence from the Consumption of Fake News During the 2016 U.S. Presidential Campaign » (consultable en ligne).
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[8]
Jérôme Batout, « Le monde selon Facebook », Le Débat, n° 163, janvier-février 2011, pp. 4-15.
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[9]
L’épisode est relaté par France Info : « Non, cet homme n’est pas un migrant qui frappe les infirmières dans un hôpital français » le 22 mars 2017 (consultable en ligne).
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[10]
Pierre Nora, Recherches de la France, Gallimard, 2013.
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[11]
Marcel Gauchet, « La guerre des vérités », Le Débat, n° 197, novembre-décembre 2017, pp. 20-27.
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[12]
Ces chiffres sont observables dans l’article du journal L’Opinion intitulé « Le New York Times peut remercier Trump » (consultable en ligne).